Séoul et les néo bars à vins

Séoul, paradis du vin ? En tout cas, celui-ci n’a jamais été aussi populaire qu’à présent.

Les jeunes urbains raffinés y commencent doucement à snober les soirées soju-collègues pour privilégier des moments entre amis et déboucher une bonne bouteille, alors qu’il s’agit d’un plaisir coûteux !

En compagnie de notre spécialiste, amateur de bons crus et vivant sur place depuis plus de 10 ans, on explore la culture émergente du vin en Corée, et une des passions des hipsters séoulites : des zincs branchés où se créent de nouveaux accord métissés.


Boire du vin: un nouvel hédonisme

Le vin en Corée n’est pas une affaire nouvelle, puisqu’il a été introduit durant l’ère coloniale, et qu’il existe une industrie du vin depuis 40 ans, et une marque historique, Majuang, produite dans la province de Gyeongsang. Pourtant, le vin reste discret dans un pays où la consommation d’alcool -et la vie nocturne- sont dominées par les alcools fermentés : makgeolli, cheongju, yakju et bien sûr l’ultra-populaire soju, une liqueur distillée à base d’amidon vendue en petites bouteilles de verre, le plus souvent très bon marché.

Plus qu’un alcool, le soju est une culture qui accompagne les soirées barbecue coréennes entre amis, les afterworks avec les collègues, comme les moments plus difficiles de la vie. D’ailleurs, les shots de soju sont un accessoire aussi essentiel aux comédies romantiques coréennes que l’est le baiser accidentel de l’épisode 6, ou bien sûr la rencontre d’une jeune cendrillon avec un chaebol, un jeune homme d’excellente famille.

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Depuis dix ans, le vin est devenu un objet de désir pour une élite coréenne, et de nombreux bars à vins et cavistes ont fleuri dans les beaux quartiers : Gangnam, puis Yongsan et Hannam. Très souvent d’inspiration bistronomique et offrant une néo-cuisine française ou italienne voir fusion, ils sont plutôt fréquentés par une foule de “happy few”.

Mais peut-être plus pour très longtemps, car la consommation de vin connaît aujourd’hui une forte émergence. C’est le PDG d’une entreprise d’importation de vins qui nous le confirme : “on livre aujourd’hui 200 à 300 bouteilles par semaine à certains bars, ce qui est énorme.”

Le passage à la semaine à 52 heures, tout comme la remise en question de traditions bien ancrées, comme le fait d’être socialement marié avec son travail et de passer de longues soirées avec les collègues, conduisent les jeunes Coréens à changer leurs habitudes. Un nouvel hédonisme, plus individuel et choisi émerge timidement mais sûrement. Calmes, élégants, parfaits pour une soirée entre petits groupes d’amis, ou pour se reposer de la folie séoulite après une journée à arpenter l’asphalte, les “Wine bars” ont de plus été boostés par la pandémie : moins chers et moins engorgés que les destinations domestiques ou les week-ends bien-être, ce sont de véritables moments de plaisir pour des urbains qui demeurent parmi les plus stressés et les plus fatigués au monde.
“Alors que les consommateurs d’alcools coréens sont plutôt des hommes âgés de 45 ans et plus, les amateurs de vin sont en revanche un public à 80% féminin, âgé de 30 à 45 ans, plutôt CSP+ et amateur de tendances”, explique P.A.

Et en effet, des bars à vins “nouveaux”  et très visuels fleurissent dans de nouveaux quartiers, plus loin du centre, avec des concepts différents, qui mixent coffee shop le jour et dégustation la nuit, ou encore exclusivement consacrés aux vins naturels. Et puis, rajoute P.A., “il y a les nouveaux venus, sans sommelier et sans dégustation, qui font littéralement exploser les codes”, des lieux hybrides où la culture élégante et traditionnelle du vin se marie à ce que la nuit séoulite à de plus branché.

Des néo bars à vin funs et edgy

En poussant la porte de After J*rkoff, on comprend immédiatement la signification du nom de l’établissement, et celui-ci tient toutes ses promesses, avec une ambiance lazy de fin d’après-midi, rehaussée de peinture contemporaine, de plantes et d’objets précieux ou kitsch. After J*rkoff est en fait un style de vie, grivois et contemporain, qui mixe ouverture d’esprit et plaisir.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on y retrouve une marque coréenne de beauté chouchou des hipsters coréens, Tambourins, créée par l’enseigne de lunetterie chic et avant-gardiste Gentlemonster. Les stars de la carte sont les vins naturels avec une super sélection de blancs, de pétillants et de légers (Gamay, Gewurtz, et de bonnes références italiennes) Chaque nouvel arrivage de vin est un évènement, et s’accompagne de pâtes, de poulpe ou d’un bon pajeon, une crèpe aux légumes et aux fruits de mers parfaite pour des accords avec des vins légers. Une adresse pour passer du temps l’après-midi et le soir, et boire longtemps, sans le stigmate de l’alcoolisme.

Où est After J*erk Off? Jung-gu, Jeodong 2(i)-ga, Supyo-ro, 42-21 4F, (métro Euljiro 3-ga lignes 2 et 3, sortie 12)


Mullae est un quartier de l’ouest de Séoul en pleine gentrification. Fréquenté par une population jeune, plutôt très streetwear, tatouée et stylée, c’est une encore une terre vierge pour le vin. Quoique.

Le L.I.D Bar, avec sa porte style “coffre-fort” et son ambiance industrielle a de faux airs de bar clandestin. Sur le zinc, se côtoient alcool forts, cocktails, références de vins pétillants et naturels qui misent sur de jeunes producteurs principalement français et italiens. On y boit ce que l’on appelle communément des “vins sans soif”, légers et désaltérants avec un DJ et en infrarouge, sous l'immense néon du L.I.D, l’anagramme de... “Live in Decadence”. Tout un programme, auquel est pleinement associée la viniculture.

Trouver le L.I.D Bar : 12-1 Dorim-ro 139-gil, Mullae Dong 2(i)-ga, Yeongdeungpo-gu, Séoul (métro Mullae ligne 2, sortie 7).


Et puis, il y a le Dressing Room, un bar complètement imprévu et secret, caché dans les ruelles de Euljiro, au 3e étage d’un bâtiment terne, sans décorum et sans panneau : si vous ne savez pas ce que vous cherchez, vous ne pouvez pas le trouver.

Dans le cas contraire, l’escalier, étroit, vous emmène… dans une antichambre avec des ballerines et un immense miroir, et la salle se découvre d'elle-même: des ballerines de danseuses partout le long des fenêtres, jusqu’au plafond, dans des cages sans fond. Les figures de la danse classique sont magnifiquement écrites sur des miroirs lumineux. Bref, un dépaysement total, où l’on vient autant pour l’ambiance, l’énorme plafond à faire rougir la (fausse) chapelle Sixtine, que pour la bouteille de vin partagée entre ami(e)s.

Tomber sur le Dressing Room: 6-1 Chungmu-ro 5-gil, Euljiro 3(sam)-ga, Jung-gu, Seoul (métro lignes 2 et 3, sortie 9).


Vous l’aurez compris, Séoul est en train de créer sa propre culture du vin, fun et sans prise de tête. Et on est, bien évidemment, très fans.

Claire Solery

Claire Solery est expert en pop culture coréenne depuis 10 ans. Elle a contribué à de nombreuses publications françaises, notamment Slate, Le Point Pop ou France TV Info. Elle est du matin, mais tout sauf calme.

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